jeudi 29 janvier 2015

Toxicomanie - un autre regard ...

La cause probable de la toxicomanie a été découverte et ce n’est pas ce que vous pensez

 Vu sur le site de Michael Roads. Merci pour cette touche humaniste dans une société qui en a plus que besoin ...
(Merci à la traductrice !!)

Traduction de l’article que Michael a mis en lien dans sa songerie du 27 janvier 2015 (remis à la fin de l’article, pour mémoire ou référence)

La cause probable de la toxicomanie a été découverte et ce n’est pas ce que vous pensez
La nouvelle preuve nous obligera à changer nous-mêmes.
Par Johann Hari / The Huffington Post 21 Janvier, 2015

Cela fait maintenant 100 ans que les drogues ont d’abord été interdites et tout au long de ce long siècle de guerre contre la drogue, nos professeurs et nos gouvernements nous ont raconté des histoires sur la dépendance. Ces histoires sont si profondément ancrées dans nos esprits que nous les prenons pour acquises. Elles semblent évidentes. Elles semblent manifestement vraies. Jusqu’à ce que je parte il y a trois ans et demi faire un voyage de 48 000 kms pour mon livre “Chasing The Scream: Le premier et le dernier jour de la guerre contre la drogue” pour comprendre ce qui est vraiment le moteur de la guerre de la drogue, j’y croyais aussi. Mais ce que j’ai appris sur la route, c’est que presque tout ce qu’on nous avait dit à propos de la dépendance est faux. Il y a une histoire très différente qui nous attend, si seulement nous sommes prêts à l’entendre.

Si nous absorbons vraiment cette nouvelle histoire, nous devrons changer beaucoup plus que la guerre contre la drogue. Nous aurons à nous changer nous-mêmes.

Je l’ai appris d’une variété extraordinaire de gens que j’ai rencontrés lors de mes voyages. Des amis encore en vie de Billie Holiday, qui m’ont aidé à apprendre comment le fondateur de la guerre contre la drogue l’a harcelée et a contribué à la tuer. D’un médecin juif qui a été sorti clandestinement du ghetto de Budapest quand il était bébé, pour découvrir les secrets de la toxicomanie une fois adulte. D’un dealer de crack transsexuel à Brooklyn qui a été conçu quand sa mère, une accro au crack, a été violée par son père, un officier de la Police de New-York. D’un homme qui a été maintenu au fond d’un puits pendant deux ans par la torture d’une dictature et qui en est ressorti pour être élu président de l’Uruguay et pour entamer les derniers jours de la guerre contre la drogue.

J’avais une raison personnelle pour rechercher ces réponses. Un de mes premiers souvenirs d’enfant est d’essayer de réveiller un de mes parents et de ne pas y arriver. Depuis lors, j’ai tourné le mystère essentiel de la dépendance dans mon esprit. Qu’est-ce qui pousse certaines personnes à devenir accro à une drogue ou à un comportement jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus arrêter ? Comment pouvons-nous aider les gens à revenir à nous ? En grandissant, un autre de mes proches parents a développé une dépendance à la cocaïne, et j’ai eu une relation avec un héroïnomane. Je suppose que la dépendance m’était très familière.

Si vous m’aviez demandé ce qui provoque la toxicomanie au début, j’aurais dit : “Les drogues. M’enfin !” Ce n’est pas difficile à saisir. J’ai pensé que je l’avais vu dans ma propre vie. Nous pouvons tous l’expliquer. Imaginez que vous et moi et les 20 prochaines personnes qui passent à côté de nous dans la rue prenions une drogue très puissante pendant 20 jours. Il y a de forts hameçons chimiques dans ces drogues, donc si nous nous arrêtions le 21ème jour, nos corps auraient besoin de la chimie. Nous aurions une envie féroce. Nous serions dépendants. C’est ce que signifie la dépendance.

Une des façons dont cette théorie a été établie est grâce à des expériences sur des rats racontées aux américains dans les années 1980, dans une célèbre publicité par le Partenariat pour une Amérique Sans Drogue. Vous pouvez vous en souvenir. L’expérience est simple. Mettez un rat dans une cage, seul, avec deux bouteilles d’eau. L’une contient de l’eau. L’autre contient de l’eau additionnée d’héroïne ou de cocaïne. Presque chaque fois que vous faites cette expérience, le rat devient obsédé par l’eau droguée, et continue à y revenir, jusqu’à ce qu’il se tue.

La publicité explique : “Une seule drogue est tellement addictive que 9 des 10 rats de laboratoire vont l’utiliser. Et l’utiliser. Et l’utiliser. Jusqu’à la mort. C’est la cocaïne. Et elle peut faire la même chose de vous…”

Mais dans les années 1970, le professeur de psychologie de Vancouver, Bruce Alexander, a remarqué quelque chose d’étrange à propos de cette expérience. Le rat est placé dans la cage tout seul. Il n’a rien à faire, sauf prendre les drogues. Que se passerait-il, se demanda-t-il, si nous essayions les choses différemment? Donc Alexander a construit Rat Park, une cage luxuriante où les rats avaient des balles colorées et la meilleure nourriture pour rats et des tunnels pour gambader et beaucoup d’amis : tout ce qu’un rat pourrait vouloir. Alexander voulait savoir, que se passerait-il alors?

Dans Rat Park, tous les rats ont, de toute évidence, essayé les deux bouteilles d’eau, parce qu’ils ne savaient pas ce qu’il y avait dedans. Mais ce qui s’est passé ensuite était saisissant.

Les rats qui avaient la belle vie n’aimaient pas l’eau droguée. Ils l’ont évitée, en en consommant moins d’un quart de ce que les rats isolés avaient utilisé. Aucun d’entre eux n’est mort. Alors que tous les rats qui étaient seuls et malheureux sont devenus de gros utilisateurs, aucun des rats qui avaient un environnement heureux ne l’est devenu.

Au début, je pensais que c’était simplement un caprice de rat, jusqu’à ce que je découvre qu’en même temps que l’expérience Rat Park se déroulait, il y avait un équivalent humain en cours. Ca s’appelait la guerre du Vietnam. Le magazine Time a rapporté que l’héroïne était “aussi commune que le chewing-gum” parmi les soldats américains et il y a des preuves solides pour étayer cette thèse : environ 20 pour cent des soldats américains sont devenus accro à l’héroïne là-bas, selon une étude publiée dans les Archives of General Psychiatry. Beaucoup de gens ont été terrifiés et c’est compréhensible : ils croyaient qu’un grand nombre de toxicomanes étaient sur le point de rentrer à la maison quand la guerre prendrait fin.

Mais en fait, quelque 95 pour cent des soldats dépendants, selon la même étude, ont tout simplement cessé d’en utiliser. Très peu ont fait une cure de désintoxication. Ils étaient passés d’une cage terrifiant à une cage agréable, de sorte qu’ils ne voulaient plus de drogue.

Bruce Alexander soutient que cette découverte est un profond défi à la fois à la vision de droite selon laquelle la toxicomanie est un échec moral causé par un comportement de fêtard hédoniste, et à la vision libérale selon laquelle la toxicomanie est une maladie installée dans un cerveau chimiquement confisqué. En fait, soutient-il, la dépendance est une adaptation. Ce n’est pas vous. C’est votre cage.


Après la première phase du Rat Park, Alexander a poussé l’expérience plus loin. Il a répété les premières expériences, où les rats ont été laissés seuls et sont devenus des utilisateurs compulsifs de drogue. Il les a laissés l’utiliser pendant 57 jours : si quelque chose peut vous accrocher, c‘est bien cela. Puis il les a fait sortir de l’isolement et les a placés dans Rat Park. Il voulait savoir si une fois tombé dans cet état de dépendance, votre cerveau est détourné de sorte que vous ne puissiez pas récupérer ? Est-ce que les drogues prennent le relais ? Ce qui est arrivé est frappant. Les rats semblaient avoir quelques accès de régression, mais ils ont vite cessé leur utilisation intensive et sont retournés à une vie normale. La bonne cage les a sauvés. (Les références complètes pour toutes les études dont je parle sont dans mon livre.)

Cette nouvelle théorie est une attaque tellement radicale de ce qu’on nous avait dit que c’était comme si elle ne pouvait pas être vraie. Mais plus j’ai interviewé de scientifiques, et plus j’ai regardé leurs études, plus j’ai découvert de choses qui ne semblent pas avoir de sens, sauf si vous preniez en compte cette nouvelle approche.

Voici l’exemple d’une expérience qui se passe tout autour de vous et qui pourrait bien vous arriver un jour. Si vous vous faites renverser aujourd’hui et que vous vous cassez la hanche, on vous donnera probablement de la diamorphine, le nom médical de l’héroïne. Dans l’hôpital autour de vous, il y aura beaucoup de personnes à qui on aura donné de l’héroïne pendant de longues périodes, pour soulager la douleur. L’héroïne que vous obtenez de votre médecin aura une pureté beaucoup plus élevée que celle utilisée par les toxicomanes de la rue, qui doivent l’acheter à des trafiquants. Donc, si la vieille théorie de la dépendance est correcte – ce sont les drogues qui font que votre corps en a besoin – ce qui devrait arriver est évident. Des tas de gens devraient quitter l’hôpital et essayer de trouver de l’héro dans la rue, pour satisfaire leurs habitudes.

Mais voici la chose étrange. Cela n’arrive pratiquement jamais. Comme le médecin canadien Gabor Maté a été le premier à me l’expliquer, les utilisateurs pour raisons médicales s’arrêtent, malgré des mois d’utilisation. La même drogue, utilisée pendant la même durée, transforme les utilisateurs de la rue en toxicomanes désespérés et laisse les patients médicaux non affectés.

Si vous croyez encore, comme je le faisais, que la dépendance est causée par des hameçons chimiques, cela n’a aucun sens. Mais si vous croyez la théorie de Bruce Alexander, l’image se met en place. Le toxicomane de la rue est comme un rat dans la première cage: isolé et seul, avec une seule source de consolation vers laquelle se tourner. Le patient médical est comme un rat dans la deuxième cage : il rentre à la maison, à une vie où il est entouré par les gens qu’il aime. La drogue est la même, mais l’environnement est différent.

Cela nous donne un aperçu qui va beaucoup plus loin que la nécessité de comprendre les toxicomanes. Le Professeur Peter Cohen soutient que les êtres humains ont un profond besoin de tisser des liens et des connexions. Si nous ne pouvons pas communiquer avec les autres, nous rencontrerons tout ce que nous pouvons trouver – le bruit de la roulette au casino ou la piqûre d’une seringue. Il dit que nous devrions complètement cesser de parler de «dépendance» mais de parler de «tissage de liens». Un héroïnomane a tissé des liens avec l’héroïne parce qu’il ne pouvait pas tisser de liens aussi pleinement avec autre chose.

Donc, le contraire de la dépendance n’est pas la sobriété. C’est le lien humain.

Je ne pouvais toujours pas m’ôter d’un doute persistant. Est-ce que ces scientifiques disent que les hameçons chimiques ne font aucune différence ? On m’a expliqué : vous pouvez devenir accro aux jeux d’argent, et personne ne pense que vous vous injectez un paquet de cartes dans les veines. Vous pouvez avoir toute la dépendance et aucun des hameçons chimiques. Je suis allée à une réunion des Gamblers Anonymous à Las Vegas et ils étaient aussi clairement accros que les toxicomanes à la cocaïne et à l’héroïne que j’ai connus. Pourtant, il n’y a pas de hameçons chimiques sur une table de craps.

Mais sûrement, ai-je demandé, il y a un rôle dans les produits chimiques ? Il s’avère qu’il y a une expérience qui nous donne la réponse à cela en termes précis, que j’ai trouvée dans le livre de Richard DeGrandpre, The Cult of Pharmacology.

Tout le monde convient que le tabagisme est l’un des processus les plus addictifs qu’il y ait. Les hameçons chimiques dans le tabac proviennent de la drogue nommée nicotine. Alors, quand les patchs de nicotine ont été développés dans les années 1990, il y a au une énorme vague d’optimisme – les fumeurs de cigarettes pourraient obtenir tous leurs hameçons chimiques, sans les autres effets sales et mortels, de la cigarette. Ils seraient libérés.


Mais l’Office of Surgeon General a constaté que seulement 17,7 pour cent des fumeurs de cigarettes arrivent à cesser de fumer en utilisant les patchs de nicotine. Ce n’est pas rien. Si les produits chimiques font 17,7 pour cent de la dépendance, comme cela le montre, c’est toujours des millions de vies ruinées dans le monde. Mais ce que ça révèle à nouveau, c‘est que les histoires que nous avons apprises sur la cause de toxicomanie comme étant des hameçons chimiques sont réelles, mais ce n’est qu’une toute petite partie d’une image beaucoup plus grande.

Cela a des implications énormes pour les 100 ans de guerre contre la drogue. Cette guerre massive, qui tue les gens des places du Mexique jusque dans les rues de Liverpool, est fondée sur l’affirmation selon laquelle nous avons besoin d’éradiquer physiquement tout un éventail de produits chimiques, car ils détournent le cerveau des gens et causent une dépendance. Mais si les drogues ne sont pas le moteur de la toxicomanie – si, en fait, c’est le manque de lien qui conduit à la toxicomanie – alors cela n’a aucun sens.

Ironiquement, la guerre contre la drogue augmente en fait tous ces grands moteurs de la dépendance. J’ai visité une prison en Arizona, Tent City, où les détenus sont enfermés dans de minuscules cages d’isolement en pierre (le trou) pendant des semaines, pour les punir de s’être drogués. C’est aussi proche que possible de la reproduction humaine des cages qui garantissaient une dépendance mortelle chez les rats. Lorsque ces prisonniers sortent de prison, ils seront inemployables en raison de leur casier judiciaire, garantissant qu’ils seront coupés encore davantage.

Il existe une alternative. Nous pouvons construire un système qui est conçu pour aider les toxicomanes à renouer avec le monde et à laisser derrière eux leurs dépendances.

Ce n’est pas théorique. Ca se passe vraiment. Il y a près de 15 ans, le Portugal avait l’un des pires problèmes de drogue de l’Europe. Ils avaient essayé d’entrer en guerre contre la drogue et le problème n’a fait que continuer à s’aggraver. Ils ont donc décidé de faire quelque chose de radicalement différent. Ils ont décidé de dépénaliser toutes les drogues et de prendre tout l’argent consacré auparavant à arrêter et à emprisonner les toxicomanes et de le dépenser à la place à les reconnecter – avec leurs propres sentiments et avec la société en général. L’étape la plus cruciale était de leur obtenir un logement sûr et des emplois subventionnés, donc ils avaient un but dans la vie et quelque chose pour les faire sortir du lit. Dans des cliniques chaleureuses et accueillantes, les toxicomanes apprenaient à renouer avec leurs sentiments, après des années de traumatisme. Un groupe de toxicomanes a reçu un prêt pour créer une entreprise de déménagement. Soudain, ils étaient un groupe, tous liés les uns aux autres et à la société et responsables de prendre soin les uns des autres.

Une étude indépendante menée par le British Journal of Criminology a constaté qu’après la décriminalisation totale, la dépendance a diminué, et l’utilisation de drogue en intraveineuse a baissé de 50 pour cent. La décriminalisation a été un tel succès que très peu de gens au Portugal veulent retourner à l’ancien système. Le militant principal contre la décriminalisation en 2000 était Joao Figueira, le premier flic du pays chargé de la drogue. Il a donné à tous des avertissements terribles sur ce à quoi il fallait s’attendre, dans le Daily Mail ou Fox News. Mais quand nous nous sommes assis ensemble à Lisbonne, il m’a dit que tout ce qu’il avait prédit ne s’était pas produit – et il espère maintenant que le monde entier suivra l’exemple du Portugal.

Ce n’est pas seulement pertinent pour les toxicomanes que j’aime. C’est pertinent pour nous tous, car ça nous oblige à penser différemment à notre propre sujet. Les êtres humains sont des animaux de relation. Nous avons besoin d’être en lien et d’aimer. La phrase la plus sage du 20e siècle était celle de EM Forster, «Seulement être en lien.” Mais nous avons créé un environnement et une culture qui nous coupent du lien. La hausse de la dépendance est un symptôme d’une maladie plus profonde de la façon dont nous vivons, dirigeant constamment notre regard vers le prochain objet qui brille et que nous devrions acheter, plutôt que vers les êtres humains tout autour de nous.

L’écrivain George Monbiot a appelé cela l’ «âge de la solitude.” Nous avons créé des sociétés humaines où il est plus facile pour les gens d’être coupé de tout lien humain. L’Internet n’offre qu’une parodie de connexion. Bruce Alexander, le créateur du Rat Park, m’a dit que pendant trop longtemps, nous n’avons parlé que de la récupération individuelle de la dépendance. Nous devons maintenant parler d’une récupération sociale ; comment nous récupérons tous, ensemble, de la maladie de l’isolement.

Mais cette nouvelle preuve n’est pas seulement un défi pour nous en termes de politique. Elle ne nous oblige pas seulement à changer nos esprits, elle nous oblige à changer nos cœurs.

Aimer un toxicomane est vraiment difficile. Quand j’ai regardé les toxicomanes que j’aime, il a toujours été tendant de suivre les conseils d’amour dur, distillés par les émissions de télé-réalité, comme “l’Intervention”: dire au toxicomane de se secouer ou le laisser tomber. Leur message est qu’un toxicomane qui n’arrête pas sa consommation doit être évité. C’est la logique de la guerre contre la drogue, importée dans nos vies privées. Mais cela ne fera que renforcer leur dépendance et vous risquez de les perdre complètement. Je suis rentré déterminé à créer plus de lien avec les toxicomanes dans ma vie, à leur faire savoir que je les aime inconditionnellement, qu’ils s’arrêtent, ou qu’ils n’y arrivent pas.


Quand je suis rentré de mon long voyage, j’ai regardé mon ex-petit ami, enfermé, tremblant sur mon lit d’appoint, et j’ai pensé à lui autrement. Depuis un siècle maintenant, nous chantons des chansons de guerre sur les toxicomanes. Il m’est apparu que nous aurions dû leur chanter des chansons d’amour tout du long.

Johann Hari discutera de son livre à Politics and Prose à Washington DC, à 19 heures, le 29 Janvier; au 92nd Street Y à New York, à midi, le 30 Janvier; et au Red Emma à Baltimore, le 4 Février.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous avez testé? Votre avis m'intéresse.